24 heures, 01.09.2024 >
Un quart de siècle avant que la saison d’alpage ne soit inscrite au patrimoine de l’Unesco, le Pays-d’Enhaut s’assurait de la sauvegarde de son savoir-faire fromager en devenant la première AOP du pays.
Berceau de l’art du papier découpé, écrin typique de celui du tavillonnage, terreau agricole où les gestes n’ont guère changé au fil des siècles… De prime abord, on ne décrirait pas le Pays-d’Enhaut comme un «hub» de l’innovation en Suisse. Cet automne 2024, deux anniversaires viennent pourtant rappeler que cette région ne manque pas d’ingéniosité, surtout lorsqu’il s’agit de défendre ses traditions.
Le premier tournant célébré cette année remonte à 1934. La décennie a mal commencé pour les régions de montagne. La production de fromage y est à la peine: davantage rentables mais aussi plus propices à un affinage de qualité, les laiteries de plaine prennent l’ascendant. La qualité de L’Étivaz est menacée, les prix chutent. Les amodiataires damounais se réunissent et lancent la construction de caves coopératives au village.
Arrivé en mai dernier à la tête de la Coopérative des producteurs de fromages d’alpage L’Étivaz AOP, Jérôme Groebli en est convaincu: «Ce fromage est une histoire de visionnaires. Il fallait du courage pour se prendre ainsi en main il y a nonante ans.» Cette capacité à anticiper l’avenir pour mieux conserver le passé est une nouvelle fois mise à l’épreuve à la fin du siècle dernier: le 24 septembre 1999, L’Étivaz devient la première AOP (appellation d’origine protégée, AOC à l’époque) du pays. Elle doit impérativement être fabriquée à l’alpage, au feu de bois, dans un chaudron en cuivre, avec du lait fournit par des vaches en pâture libre.
Là encore, le contexte économique appelait une réaction rapide. «Après avoir été massivement soutenu par la Confédération pendant des décennies, le marché du lait s’est libéralisé et les prix ont chuté», raconte Jacques Henchoz, l’une des chevilles ouvrières de cette inscription.
Orties, café, noisettes…
Dès le lancement de la réglementation européenne en matière d’appellations contrôlées, la coopérative se lance dans l’élaboration d’un dossier. Elle est largement aidée par une étude alors menée par l’institut de recherche fédéral Agroscope: «Leur idée était de démontrer que l’alimentation du bétail jouait un rôle dans le goût du fromage, poursuit Jacques Henchoz. Plusieurs tests ont été réalisés dans des conditions spécifiques. Certaines vaches étaient nourries avec un fourrage sec, contenant deux ou trois espèces végétales. Alors que sur nos alpages, 237 variétés botaniques ont été recensées.» Le résultat est sans appel: «Les dégustateurs ont trouvé une soixantaine de critères gustatifs dans notre fromage, évoquant des arômes d’ortie, de café, de noisettes, etc.»
Le document donne un solide argument aux auteurs de la candidature. Il contribue aussi à tracer les frontières de la zone de production. «En termes de «recette», L’Étivaz est très proche d’un gruyère, relève Jacques Henchoz. Mais ce qui fait sa typicité, ce sont les conditions pédoclimatiques de la région.»
À ce terroir s’ajoutent des artisans au dévouement total. «Parmi les dossiers présentés à l’époque, seul celui de L’´Étivaz a fait l’unanimité parmi les producteurs, souligne Jérôme Groebli. Aujourd’hui, ce sont 70 familles qui en vivent, sans parler de toutes les retombées annexes pour la région, touristiques notamment. Notre rôle est de faire en sorte que cela continue.»
Patrimoine immatériel
À entendre l’actuel délégué du comité chargé de la direction, on se dit que la protection de l’AOP il y a un quart de siècle n’est pas si éloignée de l’inscription de la saison d’alpage à l’Unesco. «Ceux qui ont porté ce dossier à l’époque ont permis de pérenniser le produit, mais il y a effectivement toute une série de traditions immatérielles qui perdurent grâce à ça, ne serait-ce que le savoir-faire du fromager, qui ne se transmet que par les gestes au sein d’une même famille. Ou la tradition des congés d’alpage: beaucoup de producteurs se souviennent encore d’avoir fait l’école à l’alpage pour pouvoir travailler avec leurs parents. C’est tout une économie alpestre qui existe autour de ce fromage. Et cela fait que les jeunes producteurs gardent le feu.»
Cette information dans sa version originale est disponible en cliquant sur ce lien: https://miniurl.be/r-5nca
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